En Belgique, nous vivons en moyenne 82,4 ans. Mais selon les dernières données publiques, nous ne vivons que 63,7 ans en bonne santé.
Autrement dit, près d’un quart de notre vie se passe à composer avec la maladie, la fatigue chronique, les douleurs ou la dépendance.
C’est le signe d’un système qui répare mieux qu’il ne prévient.
Et pourtant, sur plus de 35 milliards d’euros consacrés chaque année aux soins de santé, à peine 2 à 3 % sont investis dans la prévention.
C’est deux fois moins que la moyenne européenne (5,5 %), selon l’OCDE.
Ces chiffres ne sont pas anodins : ils disent tout d’un modèle qui continue à traiter la santé comme une dépense curative à réduire, plutôt qu’un investissement collectif à développer.
Un paradoxe budgétaire et moral
Les maladies non transmissibles – cardiovasculaires, diabète, cancer, troubles mentaux – représentent près de 80 % des coûts de santé dans l’Union européenne.
Elles sont pourtant, pour une grande part, prévisibles et évitables.
La Commission européenne estime qu’un euro investi dans la prévention peut générer jusqu’à 14 euros de retour pour la collectivité, sous forme de dépenses évitées et de productivité préservée.
Si la Belgique alignait simplement son effort sur la moyenne européenne, ce seraient 3 à 4 milliards d’euros d’économies annuelles, sans parler des vies transformées.
Et pourtant, nous persistons à gérer la santé publique comme un budget comptable.
On réduit les remboursements, on réorganise les barèmes, on annonce des « réformes structurelles ».
Mais pendant ce temps, le nombre de Belges en incapacité de travail longue durée a doublé en quinze ans.
Ce n’est pas une fatalité biologique : c’est une erreur stratégique.
Le symptôme d’une dérive idéologique
Récemment, le ministre de la Santé a déclaré que les médecins étaient, « de facto », des fonctionnaires, puisqu’ils sont rémunérés en partie via les mutuelles, elles-mêmes financées par l’impôt.
Ce raisonnement n’est pas anodin. Il traduit un glissement de pensée : celui où tout financement collectif justifie une prise de contrôle administrative sur la pratique médicale. C’est une erreur conceptuelle et politique.
La solidarité nationale n’a jamais signifié la disparition de la liberté professionnelle.
Un enseignant, un chercheur ou un artiste subventionné ne devient pas fonctionnaire au sens idéologique du terme ; il reste un acteur autonome, responsable, créatif.
Pourquoi faudrait-il que les médecins, eux, renoncent à leur liberté d’exercer sous prétexte que le système de santé repose sur des contributions collectives ?
Réduire la médecine à une mécanique publique, c’est nier sa nature humaine et adaptative.
C’est oublier que l’innovation médicale, la coordination interdisciplinaire, la prévention et l’éducation naissent du terrain, pas des bureaux ministériels.
L’exemple venu d’ailleurs
Pendant des siècles, dans la Chine impériale, le médecin était rémunéré tant que son patient restait en bonne santé. S’il tombait malade, le paiement cessait.
Ce modèle n’était pas utopique : il traduisait une philosophie où la valeur du soin se mesurait à ce qu’il évite, pas à ce qu’il répare.
Aujourd’hui encore, certains systèmes de santé asiatiques ont gardé cette logique : le Japon, par exemple, impose des bilans de santé obligatoires, avec des incitants financiers pour les entreprises dont les employés améliorent leurs indicateurs de santé.
Résultat : une espérance de vie parmi les plus élevées au monde, et un coût de santé par habitant bien inférieur à celui des pays occidentaux.
Ce n’est pas de l’exotisme : c’est du pragmatisme.
Ils ont compris que la santé préventive n’est pas une charge morale, mais une politique d’investissement à long terme.
La Belgique, elle, s’enlise dans la réparation
Nous avons construit un système hospitalo-centré, obsédé par le remboursement, saturé par les actes curatifs et paralysé par la paperasse. La prévention reste périphérique, mal financée, souvent laissée à la bonne volonté des acteurs locaux.
Les centres pluridisciplinaires, les initiatives de santé intégrée, les bilans de suivi personnalisés : tout cela existe, mais malgré le système, pas grâce à lui.
C’est pourtant là que se joue la vraie réforme : dans la liberté donnée aux professionnels de terrain d’innover, de collaborer, d’éduquer, de dépister, de suivre les modes de vie.
C’est là que s’inventera la santé de demain : plus humaine, plus mesurable, plus durable.
Sortir du réflexe comptable
Nous nous sommes battus pendant un siècle pour sortir de la tutelle des idéologies collectivistes.
Revenir aujourd’hui à une santé planifiée, uniformisée, administrée comme une entreprise publique serait un contresens historique et un désastre humain.
La solidarité, oui.
L’étatisation de la pensée médicale, non.
Ce dont la Belgique a besoin, ce n’est pas d’une nouvelle bureaucratie sanitaire, mais d’un nouvel horizon : une santé publique bâtie sur la prévention, la liberté et la responsabilité.
C’est là, et seulement là, que nous pourrons à la fois vivre plus longtemps, mieux, et ensemble.
Sources:
- Espérance de vie à la naissance (2024)
Source officielle : Statbel (Office belge de statistique)
https://statbel.fgov.be/fr/themes/population/mortalite-et-esperance-de-vie/tables-de-mortalite-et-esperance-de-vie -
Espérance de vie en bonne santé (2022)
Source : indicators.be (Institut de Santé publique / Sciensano)
https://indicators.be/fr/i/G03_HLY/Esp%C3%A9rance_de_vie_en_bonne_sant%C3%A9 - EU4Health Joint Statement (2019) — Coalition européenne de santé publique
https://eu4health.eu/content/uploads/2019/05/eu4health-joint-statement.pdf -
Vaccines Europe – Value of Prevention Paper (2024)
https://www.vaccineseurope.eu/media-hub/publications/the-value-of-prevention-for-economic-growth-and-the-sustainability-of-healthcare-social-care-and-welfare-systems/
(Confirme également le ratio de 1 € → 14 € sur le long terme.) - OECD – Health at a Glance: Asia/Pacific 2022
https://www.oecd.org/health/health-at-a-glance-asia-pacific-2022-3dd53f3c-en.htm
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Budget INAMI – Dépenses totales santé (2024)
https://www.inami.fgov.be/fr/actualites/un-budget-de-427-milliards-d-euros-pour-l-assurance-soins-de-sante-en-2024