En Belgique, malgré une tradition de soins de santé progressiste, l’accès aux psychotropes reste entravé par des réglementations rigides. Cela doit changer.
- Publié le 12-02-2024 à 11h50 (La Libre Belgique)
Une opinion d'un collectif de médecins et psychiatres (*)
Dans un monde où la détresse psychologique semble croissante, l’innovation en matière de santé mentale n’est pas seulement une opportunité mais une nécessité. En Belgique, on estime que respectivement 17 % et 19 % de la population souffrent de dépression et d’anxiété (chiffres Sciensano). En parallèle, la prescription de psychotropes ne fait qu’augmenter et en 2022, 1 belge sur 4 a pris au moins 1 psychotrope, dont principalement des calmants et des antidépresseurs. Cela ne semble pas régler le problème, puisque l’INAMI constate, entre 2016 et 2021, une augmentation de 46 % des incapacités de travail liées à la dépression et au burn-out. À tel point que le coût direct des problèmes de santé mentale est estimé à 5 % du PIB.
Pour répondre à ces défis, nous devons réinventer nos prises en charge et compléter notre arsenal thérapeutique. Dans ce cadre, les Psychothérapies assistées par psychédéliques (PAP) pourraient avoir un impact majeur et apporter de nouvelles solutions.
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Après avoir fait l’objet d’un usage récréatif non contrôlé, mais aussi des recherches en psychiatrie dans les années 50 et 60, les psychédéliques, ces substances provoquant des états modifiés de la conscience, furent complètement interdits, tant pour le grand public qu’en médecine. Les recherches ont néanmoins pu reprendre, de façon très contrôlée, dès les années 2000, aux États-Unis pour des substances telles que la psilocybine, la MDMA (Ecstasy) et le LSD. En effet, en psychiatrie, les psychédéliques montrent un potentiel prometteur dans le traitement de maladies résistantes aux traitements traditionnels.
Efficacité des psychédéliques
La recherche scientifique, malgré les restrictions réglementaires des dernières décennies, a démontré l’efficacité des psychédéliques dans le traitement de troubles tels que la dépression résistante, le syndrome de stress post-traumatique (PTSD), les addictions ou encore les troubles du comportement alimentaire. Des études cliniques révèlent des résultats très prometteurs. Dans un cadre de thérapie assistée par psychédélique, la psilocybine peut réduire rapidement les symptômes de dépression chez 70 % d’individus résistants aux médicaments traditionnels, avec des effets persistant plusieurs semaines, voire mois, après seulement deux doses.
En ce qui concerne le PTSD, des études indiquent que la MDMA administrée dans un cadre contrôlé et accompagné d’un soutien thérapeutique, peut aider les individus à traiter et intégrer des expériences traumatisantes, réduire les symptômes d’anxiété et de dépression et améliorer leur bien-être général. Cet effet se produit chez 2/3 des patients et est toujours significatif 12 mois après le traitement.
Le mécanisme d’action des psychédéliques, différent de celui des psychotropes traditionnels, offre un nouveau paradigme : de par l’état modifié de conscience qu’ils créent, ils permettent une véritable introspection et une remise en question des schémas de pensée pathologiques. De plus, ils s’associent toujours à un protocole psychothérapeutique encadré et soutenant et ils ne nécessitent qu’une ou deux prises, éventuellement renouvelables une à deux fois par an.
Des règles rigides
En Belgique, malgré une tradition de soins de santé progressiste, l’accès à ces thérapies reste entravé par des réglementations rigides. Pourtant, des initiatives existent telles que PAREA (Psychedelic Access and Research European Alliance), une association qui vise à donner des informations sur les thérapies assistées par psychédéliques à un niveau européen (7), ou la task force créée par l’EPA (European Psychiatric Association) sur l’usage des psychédéliques en psychiatrie (8). Elles démontrent l’élan croissant en faveur de ces traitements innovants. L’Agence européenne du médicament (EMA) reconnaît également cette dynamique en prévoyant un atelier sur les psychédéliques en avril 2024 (9), marquant ainsi une étape cruciale dans la reconnaissance des Psychothérapies Assistées par Psychédéliques (PAP).
En soutenant la recherche, en assouplissant les réglementations pour l’importation de ces substances, nous pourrons non seulement soulager la souffrance de nombreux patients mais aussi enrichir notre compréhension de la psyché humaine.
Il est à noter également que de nombreux pays sont déjà beaucoup plus avancés que nous et cela avec des résultats encourageants. La Suisse donne des “Autorisations exceptionnelles de prescriptions” depuis 2014 où plusieurs milliers de PAP ont eu lieu dans le pays depuis lors. Depuis ce 1er juillet 2023, l’Australie autorise l’usage de la MDMA et de la psilocybine, pour le traitement de pathologies mentales résistantes, tandis que le Canada a approuvé leur usage à des fins compassionnelles. Aux États-Unis, la MDMA est approuvée par la FDA (Food and Drug Administration) comme une thérapie innovante (“ Breakthrough Therapy) et l’état d’Oregon a décriminalisé les substances psychédéliques. En Europe, de nombreuses études multicentriques de phase 3 sont menées entre autres en Allemagne et en Angleterre, révélant l’intérêt mondial pour le potentiel thérapeutique de ces substances.
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Cependant, en Belgique, en 2024, le chemin vers l’intégration de ces substances dans notre arsenal thérapeutique reste jonché de défis. Tout d’abord parce que ces substances sont illégales sur notre territoire, de ce fait, leur usage compassionnel dans les cas de troubles psychiatriques résistants est encore impossible. Les recherches cliniques sont très limitées par manque de budget et à cause de nombreuses difficultés administratives (Deux études cliniques vont néanmoins commencer en 2024 en Belgique sur la psilocybine). Ensuite, les questions de sécurité, de standardisation des doses, d’intégration post-thérapie, d’accès et de coût doivent être abordées avec rigueur. Enfin, les risques, bien que gérables dans un cadre clinique contrôlé, ne doivent pas être négligés. La formation des thérapeutes, la surveillance des séances et un suivi attentif sont impératifs pour garantir des soins sûrs et efficaces.
Mouvement global
Il est temps pour la Belgique de prendre part activement à ce mouvement global. En soutenant la recherche, en assouplissant les réglementations pour l’importation de ces substances, et en autorisant leur utilisation dans un cadre compassionnel ou pour des usages thérapeutiques exceptionnels, nous pourrons non seulement soulager la souffrance de nombreux patients mais aussi enrichir notre compréhension de la psyché humaine. À défaut, ceux-ci se tourneront de plus en plus vers un marché croissant de ce type de pratiques, sans supervision et sans encadrement sécurisé, qui peuvent alors leur être potentiellement préjudiciables.
L’heure n’est plus à la stigmatisation, mais à l’action éclairée. Avançons, de façon encadrée et sécurisée, mais avançons ! Pour les patients, pour la science, et pour une société plus éclairée et empathique.
⇒ Titre original : “Psychothérapies Assistées par Psychédéliques : Un appel à l’action en Belgique”
⇒ (*) Les signataires : Dr Caroline Depuydt (directrice médicale adjointe Epsylon), Prof. Geert Dom (président EPA - European Psychiatric Association), Dr Juan Tecco (président SRMMB - Société Royale de Médecin mentale Belge - et Directeur médical, CHP Chêne aux Haies), Dr Charles Scelles (directeur médical, Clinique La Métairie, Suisse), Prof. Philippe de Timary (responsable pôle psychiatrie, Cliniques Universitaires Saint-Luc), Prof. Charles Kornreich (responsable pôle psychiatrie, CHU Brugmann), Prof. Mathieu Hein (psychiatre Hôpital Universitaire de Bruxelles), Prof. Vincent Dubois (directeur médical Epsylon), Prof. Gerald Deschietere (responsable urgences, psychiatriques, Cliniques Universitaires Saint-Luc), Dr Marc Derely (président Conseil d’Administration Epsylon), Dr Pierre Schepens (directeur médical Silva Médical), Dr Pierre Oswald (président Conférence Médecins Chefs et directeur médical CHJ Titeca), Dr Judith Dereau (psychiatre, Epsylon), Dr Paul du Roy (psychiatre, Epsylon ASBL), Dr Antoine Lagaude (addictologue, Centre des addictions, Bruxelles), Charlotte Mauchien (Cliniques Saint Luc, Bruxelles), Mme Florence Laboureur (directrice Centre de jour l’Orée), Dr Indiana Rosso (psychiatre, CHJ Titeca), Dr Alice Roussaux (psychiatre, Epsylon), Dr Daniel Souery (psychiatre, Epsylon), Dr Catherine Wauthier (psychiatre, centre Belle Idée), Dr Daniel French (psychiatre HUB Erasme), Dr Virginie Roobaert (psychiatre Helora, Ambroise Paré), Bernard Desplanque (coordinateur de La Pièce, ASBL L’équipe, Bruxelles), Laetitia Vanderijst (promotrice recherche psilocybine au CHU Brugmann), Dr Nicolas Dewez (psychiatre).
⇒ Sources
1- sciencsano
https://lookerstudio.google.com/embed/reporting/7e11980c-3350-4ee3-8291-3065cc4e90c2/page/ykUGC
2- psychotropes
https://www.usagepsychotropes.be/
3- inami
https://www.inami.fgov.be/fr/statistiques/statistiques-indemnites
5- I Rosso, Psilocybine en psychiatrie : historique et nouvelles implications thérapeutiques. Acta Psy Belg., N°123, 2023.
6- source Baptiste Fauvel, science direct, Elsevier 2021, la thérapie assistée par MDMA dans le PTSD
8- https://www.europsy.net/general-task-forces/
11- https://www.nytimes.com/2023/09/14/health/mdma-ptsd-psychedelics.html