Notre vive inquiétude concernant le projet de loi du Ministre de la Santé, M. Vandenbroucke

Collectif des gynécologues bruxellois

Chères représentantes,

Chers représentants,


Nous tenons à vous faire part de notre profonde inquiétude concernant le projet de loi proposé par le Ministre de la Santé, M. Vandenbroucke. Nous estimons que ce projet va à l'encontre des objectifs fondamentaux qui lui ont été confiés, et que nous partageons :

  • Pérenniser l'accès pour tous à des soins de santé de qualité en Belgique.
  • Contrôler le budget des soins de santé.


À ces deux objectifs, nous ajoutons un troisième, essentiel à la pérennité de notre système de santé :

  • maintenir l'attractivité des professions de la santé pour nos jeunes, futurs piliers des soins, ainsi que pour les médecins experts, qu'ils soient formés en Belgique ou à l'étranger.


Il nous semble que le projet de loi actuel va à l'inverse de ces trois objectifs. Nous déplorons que le Ministre applique une vision idéologique et dogmatique à un problème qu'il n'a, selon nous, pas pleinement cerné, et ce, par manque de concertation avec les acteurs de terrain.



1.Accès aux soins : une situation déjà bonne et des améliorations en cours

La Belgique bénéficie actuellement d'un excellent accès à des soins de qualité pour tous. Le rapport 2024 du KCE confirme l'absence de difficultés d'accès aux soins hospitaliers, y compris pour les personnes à faibles revenus. Contrairement au chiffre de 41 % avancé récemment par certains dans la presse, seules 0,9 %1 des personnes en Belgique ont déclaré avoir reporté des soins pour des raisons financières en 2023. Bien que ce chiffre reste trop élevé, il est en constante diminution depuis 2015.


Le KCE mentionne toutefois une difficulté d'accès aux soins ambulatoires médicaux et dentaires pour les plus faibles revenus. Le problème majeur identifié est lié au statut BIM, qui n'est pas toujours demandé par les éligibles ou n'est pas systématiquement mis en œuvre. Cependant, les données de 2023 ne reflètent pas encore les changements majeurs introduits par le Ministre en 2025, que nous saluons. Ces modifications interdisent la facturation de suppléments aux patients BIM , ce qui devrait permettre une amélioration significative de cet accès.


Par ailleurs, le rapport OSE de 20202 indique que les suppléments d'honoraires ne sont une cause d'inégalité dans l'accès aux soins que dans des cas spécifiques : lorsque le nombre de prestataires conventionnés est insuffisant, quand les patients n'ont pas été informés du éconventionnement, ou en cas d'erreurs sur les factures hospitalières. Ce rapport formule douze recommandations pour améliorer l'accès aux soins de santé en Belgique, et aucune d'entre elles ne mentionne les suppléments d'honoraires comme une cause directe à abolir.


Le projet de loi du Ministre, en abolissant le conventionnement partiel, risque

paradoxalement d'aggraver la situation. Les médecins seraient contraints de choisir entre une réduction drastique de leur rémunération ou un déconventionnement complet. Nous entendons des rumeurs selon lesquelles le Ministre ferait marche arrière sur ce point, mais le projet de loi n'a pas été modifié à ce jour. Si cela témoigne d'une capacité de négociation en aval du projet, cela révèle également un manque criant de concertation en amont.



2. Contrôle du budget de la santé : une méconnaissance des mécanismes de financement


Les suppléments d'honoraires, que le Ministre souhaite réduire drastiquement, ne sont pas imputés au budget de l'État belge. Ils sont majoritairement financés par des assurances individuelles, elles-mêmes prises en charge par les employeurs, le reste étant supporté par les patients non-BIM.


Ces suppléments sont par ailleurs reversés en grande partie (souvent entre 35 % et 50 %) aux hôpitaux, contribuant ainsi au bien commun et à une redistribution des coûts des soins. 


Se priver de ce financement partiel via les assurances privées et les suppléments d'honoraires reviendrait à priver le budget global des soins de santé d'une part non négligeable de ses ressources , ce qui sera difficile, voire dangereux, pour certains établissements hospitaliers.


Le Ministre avance le chiffre de 108 % de suppléments d'honoraires facturés en moyenne, suggérant qu'un seuil de 125 % serait suffisant pour les hôpitaux. Ce calcul nous paraît simpliste et hasardeux pour deux raisons majeures:


  •  La complexité de la nomenclature INAMI : La nomenclature INAMI compte

plusieurs milliers de codes. Limiter les suppléments à 125 % alors qu'ils peuvent

atteindre 300 % aujourd'hui reviendrait à priver les praticiens d'une marge de

manœuvre essentielle. La médecine ne se prête pas à une uniformisation rigide,

chaque patient et chaque situation étant unique, et l'avancée de la science médicale est bien plus rapide que les révisions de nomenclature du ministère.


  • L'hétérogénéité du paysage hospitalier belge et le risque financier pour

certains établissements : Le paysage hospitalier belge est hétérogène. Certains

hôpitaux accueillent une patientèle plus aisée et assurée, ce qui leur permet de

facturer plus fréquemment des suppléments. D'autres établissements, en revanche, ont une patientèle majoritairement moins aisée, avec peu de patients bénéficiant de ces avantages. La variation de la moyenne des suppléments facturés entre hôpitaux ne reflète pas une "avidité" de certains médecins, mais plutôt des réalités économiques différentes. Il est donc crucial d'analyser non pas la moyenne des suppléments facturés, mais le ratio entre les patients auxquels des suppléments sont facturés et ceux à qui il ne le sont pas, un effort que le Ministre n'a pas entrepris. La limitation des suppléments à 125 % sera donc beaucoup plus difficile financièrement, voire intenable, pour les hôpitaux qui soignent majoritairement une population à plus faibles revenus et qui ne peuvent pas compenser par un volume suffisant de patients assurés. Cette mesure risque de fragiliser gravement leur équilibre financier et, par conséquent, la qualité des soins  qu'ils peuvent offrir.



3. Attractivité des professions de la santé : un risque de désertification


Il est essentiel de maintenir l'attractivité du secteur médical. La rémunération des professionnels de la santé n'est pas excessive au regard de leurs longues études, de la formation continue exigée et, surtout, du nombre d'heures prestées.


Une consultation pour certaines spécialités est plafonnée à environ trente euros brut par la nomenclature. Avec une limitation des suppléments en ambulatoire à 25%, il devient difficile de couvrir les coûts d'installation. À titre d'exemple, la location d'un cabinet pour une seule journée par semaine peut atteindre 1 000 €/mois, une machine d'échographie coûte entre 45 000 et 65 000 euros, et les logiciels informatiques représentent plusieurs milliers d'euros.

Pour certaines spécialités, l'investissement initial peut même s'élever à plusieurs centaines de milliers d'euros. De plus, les médecins exercent rarement plus d'un ou deux jours au même endroit et doivent parfois assumer ces coûts pour plusieurs cabinets.


La majorité des actes ambulatoires nécessitent l'utilisation de matériel à usage unique coûteux, qui n'est pas remboursé par la nomenclature INAMI. Certains actes sont même réalisés à perte. Dans ces conditions, comment préserver la liberté d'entreprendre dans le secteur médical ?


Il est également crucial de préserver l'excellence mondiale de nos soins en attirant les meilleurs spécialistes du monde entier. Comment convaincre des médecins ayant accumulé 6 à 7 années d'études, 5 à 6 années d'assistanat, puis parfois 5 années de fellowships à l'étranger, de venir exercer dans un pays où leurs rémunérations sont vivement critiquées et où l'on prône l'uniformisation à outrance?


Nous déplorons enfin que le projet de loi confère au Ministre le droit de retirer le numéro INAMI à tout prestataire, lui retirant ipso facto le droit d'exercer la médecine. Cette prérogative ministérielle est inédite dans d'autres professions. Le projet ne précise ni les modalités de ce retrait, ni l'organe compétent, ni les motifs. Les prestataires de soins seraient-ils si peu dignes de confiance pour justifier une loi d'exception?



Nos propositions de solutions :


Pour un système de santé durable et performant, nous suggérons les pistes suivantes :


  • Concernant l'accès aux soins :
    • Le Ministre a déjà mis en œuvre la mesure la plus importante : l'interdiction de facturer des suppléments aux patients BIM. Il est impératif d'attendre les effets de cette mesure dans les prochaines années.
    • Une meilleure gestion du statut BIM, tant pour son obtention que pour sa perte, nous semble primordiale. Nous regrettons le peu d'efforts du ministère à ce sujet.
    • Un point crucial à aborder pour améliorer l'accès aux soins concerne les problèmes de transport. Le rapport du KCE3 indique que 1,6 % des personnes ont subi un retard dans l'obtention des soins de santé en raison de la distance ou de problèmes de transport, un chiffre supérieur à celui du renoncement pour cause d'attente trop longue (0,5 %).
    • Si malgré ces mesures des problèmes d'accès persistent, il faut encourager un plus grand nombre de médecins à appliquer le tarif conventionné. On pourrait envisager d'obliger les jeunes médecins diplomés à travailler un certain nombre d'années dans le système conventionné ou partiellement conventionné. Une mesure similaire pourrait être envisagée pour les médecins arrivant de l'étranger pour leur premières années d’installation en Belgique.


  • Concernant le contrôle du budget de la santé :
    • Il est essentiel de préserver le système actuel de financement partiel par le privé via les assurances complémentaires. Ce système doit être perçu comme un mécanisme de redistribution, et non d'inégalité. 
    • Face à la diversité des réalités économiques de notre pays, une large marge de manœuvre doit être laissée dans l'application des suppléments d'honoraires. Avec une moyenne actuelle de 108 %, les médecins ont déjà démontré discernement et retenue. Pourquoi ne pas continuer à leur faire confiance?


  • Mesures transversales :
    • Une réévaluation du rôle des mutuelles et de leur caractère ambigu en tant qu'assureur privé nous paraît essentielle.
    • Un contrôle plus rigoureux est nécessaire pour sanctionner les abus de certains prestataires : non-respect des tarifs, dépassement des suppléments maximaux, information insuffisante sur le statut, ou pratiques de dessous de table.
    • Implémenter enfin la réforme tant attendue de la nomenclature INAMI.


Nous espérons que nos préoccupations seront prises en considération et que vous œuvrerez pour un projet de loi qui soutienne véritablement un système de santé belge fort, accessible et attractif pour tous.


Collectif des gynécologues bruxellois


Références : 

1https://kce.fgov.be/fr/hspa-rapport-2024

2https://www.ose.be/sites/default/files/publications/2020_SC_RB_NIHDI-Report_Report_EN_0.pdf

3https://kce.fgov.be/fr/hspa-rapport-2024


Réforme Vandenbroucke : pourquoi la liberté d’exercice des médecins et l’économie belge sont menacées
Max Paternotte - Directeur Aspera Medical