Risque de cancer : des pesticides potentiellement aussi nocifs que le tabac?

Dounia Hamdi, PhD | 05 Septembre 2024

Les pesticides ont révolutionné l’agriculture moderne en augmentant les rendements de production, ce qui a participé à réduire l’insécurité alimentaire dans un contexte global d’expansion démographique. Sur le plan de la santé publique, l'exposition aux pesticides a été associée à de nombreux effets nocifs, notamment des troubles neurologiques tels que la maladie de Parkinson, une altération de la fonction immunitaire et un risque accru de cancer.

En effet, les pesticides ont été associés, entre autres, au cancer colorectal, au cancer du poumon, aux leucémies de l’enfant et de l’adulte, aux lymphomes et au cancer du pancréas. Néanmoins, ces conclusions proviennent largement d’études épidémiologiques qui se concentrent sur : (1) des groupes d’individus dont l’exposition est connue et non à l’échelle d’une population ; (2) un type de cancer ; (3) un type de pesticide. 

Dans l’ensemble, il n’existe pas d’évaluation globale des risques associés à l’utilisation de pesticides sur le développement d’un cancer, ce à l’échelle d’une population. La présente étude propose de palier à ce manque en évaluant le risque de cancer sur la population états-unienne à partir d’un modèle d’utilisation de pesticides après ajustement par rapport à des variables d’intérêt. Ceci afin de mettre en évidence des disparités régionales et contribuer au développement de politiques sanitaires, dans le but de protéger les populations.

Un modèle qui permet de calculer le risque supplémentaire de cancer par profil d’utilisation de pesticides

Pour ce faire, les chercheurs ont utilisé les données suivantes : 

(i) des données collectées en 2019 par l’USGS (United States Geological Survey) sur l’utilisation de 69 pesticides agricoles à l’échelle de 3143 comtés,

(ii) des données sur l'incidence des cancers par 100 000 habitants -tous types, cancer de la vessie, cancer du côlon, leucémie, cancer du poumon, lymphome non hodgkinien et cancer du pancréas - collectées à partir des bases de données du NIH (National Institute of Health) et des CDC (Centers for Disease Control) sur la période comprise entre 2015 et 2019, 

(iii) et des co-variables (tabagisme, indice de vulnérabilité sociale [IVS], utilisation des terres agricoles et population totale des Etats-Unis en 2019). 

Les « profils d’utilisation » des pesticides agricoles ont été élaborés à l’aide d’une analyse de classe latente (LCA), méthode statistique utilisée pour identifier des sous-groupes homogènes (des classes latentes) au sein d’une population hétérogène. 

Ensuite, un modèle linéaire généralisé a été utilisé pour déterminer l'effet des « profils d'utilisation » des pesticides agricoles et des co-variables considérées sur l'incidence du cancer. L’incidence d’un type de cancer a été définie comme la variable dépendante, tandis que l’IVS, la prévalence du tabagisme, l’utilisation de terre agricoles, la population totale du comté et les schémas d’utilisation des pesticides agricoles ont été utilisés comme variables indépendantes.

Ces modèles ont fourni des estimations d'association pour chaque « profil d'utilisation » de pesticides agricoles, ce qui a permis de définir les régions présentant le risque « supplémentaire » de cancer le plus élevé et le plus faible. Cette approche a permis de calculer le « nombre de personnes supplémentaires » touchées par an par ces cancers et qui peut être attribué aux différences d'utilisation des pesticides agricoles. 

Le Midwest, grand producteur de maïs, serait la région la plus touchée 

Il est important de noter que ce modèle ne préjuge pas d’un lien de causalité et ne peut servir à une évaluation du risque individuel. Il a été élaboré pour identifier des tendances régionales entre des « profils d’utilisation » de pesticides et l’incidence de certains cancers. 

In fine, il apparait que la région la plus touchée par l'utilisation de pesticides serait le Midwest, une région caractérisée par une forte production de maïs. La différence entre la région de référence à risque le plus faible et la région à risque ajouté le plus élevé est de 154 541 cas de cancer (tous types) supplémentaires par an. S’agissant du cancer du côlon et du pancréas, cette différence a été estimée à 20 927 et 3 835 cas supplémentaires par an, respectivement. Les hémopathies malignes (leucémie et lymphome non hodgkinien) présentent des tendances similaires. 

L’effet des pesticides serait plus contributif que le tabagisme dans certains cancers

Le risque supplémentaire lié au tabagisme a été estimé dans les mêmes modèles et la différence de risque (lié aux pesticides versus au tabagisme) en pourcentage a été calculée. La différence d'effet la plus importante concernait le lymphome non hodgkinien, avec 154,1 % de cas supplémentaires causés par les pesticides par rapport au tabagisme ; tous les cancers, le cancer de la vessie et la leucémie présentaient des augmentations plus modestes de 18,7 %, 19,3 % et 21,0 %, respectivement. Ce résultat souligne l’importance de prendre en compte le profil d’utilisation de pesticides, au même titre que le tabagisme, dans les études épidémiologiques. 

Quelques limites à ce travail méritent d’être soulignée comme : des données manquantes de certains comtés, l’hétérogénéité de la taille et de la population des comtés, le manque de données sur les travailleurs saisonniers et migrants (susceptibles d’être fortement exposés), l’absence de validation des données par une source indépendante et l’impossibilité d’évaluer le risque individuel. 

Un vaste champ de recherche

L’effet des pesticides sur la santé humaine est un vaste de champ de recherche qui fait, à juste titre, couler beaucoup d’encre. Elle souffre néanmoins d’une vision souvent centrée sur un nombre limité de pesticides et/ou un certain type de cancer. L’originalité de la présente étude est de proposer une approche holistique pour mettre en évidence des inégalités régionales et identifier des cibles de recherche (pesticides) moins fréquemment étudiés.

La recherche dans ce domaine est primordiale en raison de l’impact évident en santé publique. Les auteurs encouragent les autorités à communiquer sur ces données afin d’informer les communautés les plus vulnérables sur les risques encourus. 

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