PARIS – Fumer tue, l’affaire parait entendue mais à quel point ? Le slogan apparait sur tous les paquets de cigarettes et on considère que le tabagisme est responsable de 66 000 morts par an en France. Mais à quelle vitesse la cigarette nous tue ? Si vous êtes fumeur et si vous avez pris comme bonne résolution du nouvel an d’arrêter de fumer, peut-être avez-vous entendu ce lieu commun selon lequel chaque cigarette fait perdre 11 minutes de vie au fumeur. Mais selon un nouveau travail publié dans la revue Addiction le 29 décembre dernier, qui a été abondamment commenté dans les médias (notamment anglo-saxon), chaque cigarette ne fait pas perdre 11 minutes de vie…mais 20 minutes !
D’où viennent ces calculs étonnamment précis ? Les fameuses 11 minutes de vie perdues proviennent, nous apprend la rubrique Check News de Libération, d’un éditorial publié dans le British Medical Journal (BMJ) il y a un quart de siècle le 1er janvier 2000, déjà à l’époque pour inciter les lecteurs à prendre la bonne résolution d’arrêter de fumer.
Ce calcul se basait sur trois données. Tout d’abord, en s’appuyant sur une étude publiée en 1994 sur la mortalité de 34 000 médecins britanniques masculins fumeurs et non-fumeurs, les auteurs de l’éditorial concluaient qu’un fumeur vivait en moyenne 6,5 années de moins qu’un non-fumeur, soit 3,4 millions de minutes. En se basant sur une autre étude datant de 1998, les auteurs retenaient qu’un fumeur consommait en moyenne 15,8 cigarettes par jour. Enfin, troisième donnée issue de la même étude de 1998 : la durée médiane de consommation de cigarettes par un fumeur serait de 54 ans.
Des calculs simples…voire simplistes
A la suite d’un calcul simple, l’éditorial aboutissait donc à ce chiffre de 11 minutes de vie perdues par cigarette. Soit la durée « d’un appel téléphonique à un ami, de la lecture d’un journal, d’une marche rapide, ou d’un rapport sexuel assez frénétique » commentait l’article. Le temps de vie perdu par paquet de cigarettes fumé, soit 3h40, correspondait quant à lui à la durée « du film Titanic, de deux matchs de football, d’une participation au marathon de Londres etc ».
25 ans plus tard, le calcul a donc été affiné et les auteurs de l’éditorial paru dans la revue Addiction le 29 décembre estiment désormais qu’une cigarette fait perdre 17 minutes de vie à un homme et 22 minutes à une femme (soit environ 20 minutes en moyenne). Pour les hommes, ces 7 minutes de vie perdues supplémentaires en 25 ans s’expliquent par le fait que, selon une étude de 2004, toujours basée sur la mortalité de la même cohorte de 34 000 médecins britanniques, un fumeur vivrait en réalité 10 années de moins en moyenne qu’un non-fumeur et non 6,5 ans.
Les mentalités ayant évolué au cours du quart de siècle écoulé, les auteurs du nouvel éditorial ont décidé de prendre également en compte les spécificités de la santé des femmes. Pour déterminer la dangerosité de la cigarette chez ces dernières, les chercheurs se sont cette fois basés sur un travail de 2013 étudiant la différence de mortalité entre les femmes fumeuses et non-fumeuses au Royaume-Uni (basé sur une cohorte de 1,2 million de personnes) et ont par ailleurs retenu que les femmes fumeuses consomment en moyenne 13,6 cigarettes par jour. Ils ont ainsi abouti à ce chiffre de 22 minutes de vie perdue par cigarette fumée chez les femmes.
Un chiffre qui a les qualités et les défauts de la simplicité
On le voit, ces calculs sont affectés de nombreux biais et d’approximations. On peut s’étonner par exemple que des données datant d’époques différentes soit mises sur le même plan, ou tout simplement que des données aussi anciennes soit utilisées. Par exemple, il ne semble pas très pertinent de retenir aujourd’hui la consommation de cigarette d’un fumeur des années 1990, alors qu’elle est vraisemblablement bien supérieure à celle d’un fumeur de 2025. Ne sont pas non plus pris en compte l’âge des fumeurs, le fait d’être un gros fumeur ou un fumeur occasionnel etc.
« L’estimation est basée sur un certain nombre d’hypothèses simplificatrices » reconnait auprès de Libération Sarah Jackson, épidémiologiste à l’université de Londres et co-auteure de l’éditorial publié le 29 décembre dernier. « Il y aura des différences entre les individus en fonction de leurs habitudes de consommation » analyse-t-elle.« Je ne peux pas dire avec certitude dans quel sens, lorsqu’il s’agit de fumeurs plus légers ou plus gros mais il est probable que cela diffère en fonction de l’effet sur la santé, par exemple les risques de cancer sont plus linéaires avec la consommation, alors que les risques cardiovasculaires ne le sont pas ».
Finalement, que le temps perdu soit de 11, 17 ou 22 minutes, ces chiffres ont les qualités et les défauts de la simplicité : d’un côté ils permettent de représenter clairement les dangers du tabac au grand public, de l’autre ils tendent à effacer la complexité du sujet traité. Les auteurs de l’éditorial rappellent pour finir que ce temps de vie perdu, quelque soit sa durée précise, est du temps en bonne santé. « Le tabagisme empiète principalement sur les années intermédiaires relativement saines » écrivent-ils.
« Ainsi, un fumeur de 60 ans aura généralement le profil de santé d’un non-fumeur de 70 ans ». La cigarette nous fait perdre du bon temps.