BRUXELLES 16/12 - La période des fêtes est souvent synonyme de convivialité, mais elle s’accompagne aussi d’excès, notamment en matière d’alcool. Si le plaisir lié à sa consommation reste légitime, les risques pour la santé ne doivent pas être ignorés. Entre pression sociale, pratiques à risque et dangers méconnus, le Pr Thierry Gustot, directeur de la Clinique de transplantation hépatique à l'H.U.B, appelle à une prise de conscience collective et à une consommation raisonnable. " Il ne faut pas diaboliser l'alcool mais sensibiliser le public à ses effets."
Les fêtes de fin d'année invitent à lever son verre en famille ou entre amis. Cependant, « l'un des obstacles majeurs à la réduction de la consommation d'alcool est la pression sociale », rappelle le Pr Thierry Gustot. « Refuser un verre en soirée est souvent perçu comme anormal ou antisocial. »
Des initiatives telles que le « mois sans alcool » ou les résolutions du Nouvel An, comme le « Dry January », encouragent à tester sa capacité à réduire ou à arrêter sa consommation. Bien que l'impact sur la santé soit limité, ces périodes de pause offrent l'occasion de réévaluer ses habitudes et d'adopter des périodes de « wash-out », des journées sans alcool, recommandée par le spécialiste des maladies hépatique, permettant de diminuer les risques sur le long terme.
Les idées reçues des bienfaits du vin rouge
Autre croyance profondément ancrée : le vin rouge, présenté pendant des années comme un allié pour le cœur. « Le célèbre ‘French Paradox', selon lequel une consommation modérée de vin rouge diminuerait le risque de maladies cardiovasculaires, a alimenté cette idée », explique le Pr Gustot. Cependant, la science a évolué, et l'OMS insiste désormais que chaque verre d'alcool représente un risque accru pour la santé.
Par ailleurs, boire quotidiennement, même en petites quantités, est plus délétère pour le foie que de consommer des quantités importantes mais ponctuellement. « Il faut revoir nos pratiques et intégrer des périodes sans alcool pour limiter les impacts sur le foie et d'autres organes », conseille le Pr Gustot.
Binge drinking : des dangers immédiats et durables
Chez les jeunes, les fêtes de fin d'année sont souvent marquées par des épisodes de binge drinking, cette pratique consistant à consommer de grandes quantités d'alcool sur une courte période: 4 verres d'alcool en deux heures pour une femme et 5 verres pour un homme. Selon le Pr Gustot, cette habitude est associée à des risques bien particuliers : troubles cognitifs à long terme, alcoolodépendance à l'âge adulte, accidents domestiques, comas éthyliques, et parfois des décès.
Des seuils sans danger n'existent pas
Les données récentes de l'OMS sont claires : il n'y a pas de seuil de consommation d'alcool qui soit sans danger. Outre le foie, qui reste la première victime de l'alcool, d'autres organes sont touchés. Les risques de cancers (sein, côlon), de troubles neurologiques ou encore d'atteintes cardiaques augmentent proportionnellement à la consommation.
« Malheureusement, de nombreux patients ne consultent qu'à un stade avancé de leur maladie, souvent lorsqu'une cirrhose est déjà installée », regrette le Pr Gustot. Cette affection, qui reste asymptomatique pendant des années, est généralement détectée trop tard, entraînant des complications graves.
Dépendance psychologique et alcoolodépendance : quelle est la différence ?
La frontière entre consommation excessive et alcoolodépendance peut parfois être floue. La première correspond à un dépassement des seuils recommandés (deux verres par jour pour les femmes, trois pour les hommes). La seconde implique une dépendance physique, caractérisée par des symptômes de sevrage, comme les tremblements matinaux.
Mais il existe aussi une dépendance psychologique, souvent sous-estimée. « L'association entre alcool et détente, ou entre alcool et sociabilité, peut devenir un cercle vicieux », observe le Pr Gustot. Ce type de dépendance explique pourquoi certaines personnes reprennent leur consommation après une pause, malgré l'absence de symptômes physiques.
Des facteurs de risque inégaux : sexe, obésité, chirurgie bariatrique
Tous les consommateurs ne sont pas égaux face aux risques liés à l'alcool. Le sexe, l'obésité et même certaines interventions chirurgicales comme la chirurgie bariatrique peuvent aggraver les effets. Chez les patients ayant subi un bypass gastrique, l'absorption d'alcool est accélérée, avec des pics d'alcoolémie plus élevés et plus prolongés. Ces patients présentent un risque accru de développer des maladies graves, notamment des cirrhoses, parfois après une consommation que l'on pourrait juger modérée.
Un retard des politiques publiques face à l'alcool
Si la lutte contre le tabac a bénéficié de campagnes efficaces, l'alcool reste largement banalisé. « La prohibition aux États-Unis a montré une diminution des cas de cirrhose, mais les lobbys de l'alcool freinent l'instauration de politiques fortes, comme l'augmentation des taxes ou la régulation des publicités », déplore le Pr Gustot. L'alcool est encore valorisé dans de nombreux contextes sociaux et culturels, tandis que ses effets dévastateurs sur la santé sont souvent minimisés.
Vers une consommation plus responsable
Pour faire face à cette problématique, la prise en charge des patients évolue. Des outils de dépistage non invasifs, comme le fibroscan, permettent de détecter rapidement les lésions hépatiques et d'informer les patients sur leurs comportements à risque. Les consultations spécialisées offrent un suivi personnalisé, intégrant des dimensions médicales, psychologiques et psychiatriques. « Il ne s'agit pas de diaboliser l'alcool, mais de sensibiliser le public à ses effets pour permettre une consommation maîtrisée », souligne le Pr Gustot.
Entre plaisir et vigilance
L'alcool, indissociable de nos traditions festives, doit être consommé avec modération et conscience. Si le plaisir reste légitime, les risques pour la santé ne peuvent être ignorés. Informer, dépister et accompagner sont les piliers d'une approche de santé publique nécessaire pour lutter contre ce fléau sociétal. En cette période de fêtes de fin d'année, le défi est de trouver l'équilibre entre convivialité et responsabilité.