Paris – Le Sénat a voté à une large majorité le projet de loi inscrivant l’IVG dans la Constitution. Le Congrès se réunira lundi pour boucler le processus constitutionnel.
« La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG) ». Telle sera bientôt la formulation que l’on pourra retrouver à l’article 34 de notre Constitution. Ce mercredi, le Sénat en effet voté, dans les mêmes termes que l’Assemblée Nationale le 30 janvier dernier, le projet de loi constitutionnelle inscrivant l’IVG dans la Constitution. Le texte doit désormais être adopté lundi prochain par les deux chambres réunies en Congrès à la majorité des trois cinquième pour entrer définitivement dans notre loi fondamentale. Au vu des résultats des scrutins dans les deux assemblées, l’issue du vote du Congrès ne fait aucun doute.
Le vote de ce mercredi au Sénat est l’aboutissement d’un long processus législatif. Si la gauche propose de longue date de constitutionnaliser la loi Veil, les choses se sont accélérées suite à la décision de la Cour Suprême des Etats-Unis le 24 juin 2022 de supprimer la protection constitutionnelle du droit à l’avortement (sans que l’on comprenne bien le rapport avec la France). L’Assemblée Nationale et le Sénat n’étaient cependant pas parvenus à trouver un accord sur la formulation à adopter, la chambre basse voulant inscrire dans la Constitution le « droit à l’IVG » et la chambre haute simplement la « liberté de l’IVG », afin de ne pas créer un nouveau droit opposable. Emmanuel Macron est finalement intervenu pour soumettre aux chambres un projet de loi constitutionnelle, à la fois pour faire triompher la version du Sénat mais également pour éviter d’avoir recours au référendum (qui fait décidément bien peur à nos responsables politiques).
La clause de conscience en danger ?
Si le projet de loi constitutionnelle a été adopté à la quasi-unanimité à l’Assemblée Nationale le 30 janvier dernier, les débats ont en revanche été plus disputés au Sénat ce mardi. Deux amendements ont notamment retenu l’attention des sénateurs. Le premier, proposé par le sénateur LR Philippe Bas, visait à remplacer la formulation « liberté garantie » par le simple mot « liberté », revenant ainsi à la version du texte adoptée par le Sénat en février 2023, ce qui aurait conduit à renvoyer le texte à l’Assemblée Nationale. Le second amendement, défendu par le sénateur LR Alain Million, visait à inscrire dans la Constitution la clause de conscience des médecins et des sage-femmes, qui leur permet de refuser de pratiquer des IVG.
Si les deux amendements ont finalement été largement rejetés, ils manifestaient une crainte d’une partie de la droite, celle que la constitutionnalisation de l’avortement n’en vienne à en faire un droit absolu et sans limites, ce qui pourrait par exemple conduire à rallonger le délai légal ou supprimer la clause de conscience. « Le gouvernement n’entend pas créer un droit absolu, sans limites, opposable » leur a répondu le Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti. Au-delà de l’aspect symbolique, le but du vote était avant tout, selon les partisans de la constitutionnalisation, de se prémunir contre une éventuelle arrivée au pouvoir de l’extrême-droite en rendant le droit à l’avortement quasiment irrévocable (bien qu’en théorie, rien n’empêche de faire le chemin inverse et de sortir l’IVG de la Constitution). Un argument qui a pu en exaspérer certains. « Avons-nous définitivement renoncé à gagner des élections et à ne pas faire le lit du Front National ? » s’est demandée la sénatrice centriste Françoise Gatel.
La droite sénatoriale divisée
Le Sénat a finalement voté le projet de loi à une large majorité de 267 voix pour et 50 voix contre (certaines mauvaises langues diront que la faible opposition est bien la preuve que le droit à l’IVG n’était pas en danger). Le texte a été voté par l’ensemble de la gauche et la totalité des sénateurs macronistes (à l’exception de l’ancien ministre du tourisme Jean-Baptiste Lemoyne). La droite est en revanche apparue plus divisée, 72 sénateurs LR ayant voté en faveur de la constitutionnalisation de l’IVG et 41 contre. Si aucune consigne de vote officiel n’avait été donnée, plusieurs sénateurs de droite ont indiqué avoir voté pour en raison de la pression de l’opinion publique.
Dès l’annonce du vote, plusieurs responsables politiques et militants féministes ont salué le résultat, avec une emphase qui contraste avec l’absence de conséquences pratiques du vote. Ce mercredi marque une « nouvelle page du droit des femmes » a ainsi salué Eric Dupond-Moretti. « Disons aujourd’hui à nos filles et nos petites-filles : vous êtes aujourd’hui et désormais à jamais libres de choisir vos vies » a déclaré pour sa part la sénatrice écologiste Mélanie Vogel, en première ligne pour la constitutionnalisation de l’IVG depuis plusieurs années. De son côté, le Président de la République Emmanuel Macron s’est « félicité » du « pas décisif » opéré par le Sénat et a annoncé avoir convoqué le Congrès à Versailles pour lundi prochain (n’attendant pas le symbolique jour du 8 mars). La France deviendra alors le premier pays au monde à inscrire l’avortement dans sa Constitution.