Dr Sylvain Beorchia | 03 Mai 2024
Le carcinome hépatocellulaire (CHC) est la plus fréquente des tumeurs primitives du foie. Son incidence continue à augmenter dépassant 10 000 nouveaux cas par an en France et près d'un million dans le monde. Il se développe le plus souvent sur une maladie sous-jacente au stade de cirrhose (80 % des cas) sauf en cas de stéatopathie métabolique ou MASH qui peut représenter 40 % des cas non cirrhotiques.
En cas de cirrhose, l’incidence annuelle du CHC est de l’ordre de 2 à 7 %. Dans de nombreux pays occidentaux, une forte augmentation d'incidence a été observée au cours des 20 dernières années probablement due à plusieurs facteurs, notamment l’hépatite C, la MASH, l’amélioration des méthodes de diagnostic, ainsi qu’une meilleure prise en charge des autres complications de la cirrhose. Le dépistage du CHC chez les malades atteints de cirrhose CHILD A/B (ou CHILD C en attente de transplantation) par échographies semestrielles, souvent sans dosage concomitant de l’alpha-fœtoprotéine, est actuellement recommandé. Le programme de dépistage permet de diagnostiquer le CHC à un stade accessible à un traitement à visée curative dans plus de 70 % des cas.
Par ailleurs, tous les patients atteints de cirrhose n’ont pas le même niveau de risque de CHC ; les principaux facteurs de risque sont le sexe masculin, les antécédents familiaux au 1er degré de CHC, la consommation excessive d’alcool, les infections par les virus de l’hépatite B et C (VHB, VHC), surtout lorsque persiste une réplication virale, l’hémochromatose, l’obésité et le diabète. La plupart des scores de risque de CHC disponibles sont spécifiques à l'infection chronique par le VHB et ont été développé en Asie où l’incidence de cette tumeur est plus élevée qu’en Europe.
Score SMART-CHC : un nouveau score prédictif
Dans cette étude, des auteurs asiatiques ont développé et validé un algorithme d'apprentissage automatique, ou machine learning (ML), prédire et stratifier du risque de CHC dans diverses maladies hépatiques chroniques. Les ML ont été formés pour la prédiction du CHC chez 5 155 patients adultes atteints d’hépatopathies en Corée. La validation s’est faite dans 2 cohortes prospectives de Hong Kong (n = 2 732) et de Bordeaux (n = 2 384). Les performances du modèle ont été évaluées selon l’indice C de Harrell et la courbe ROC en fonction du temps. Ce score SMART-CHC est basé sur la rigidité hépatique, dont la mesure par élastométrie impulsionnelle est classée comme la plus importante parmi 9 caractéristiques (âge, sexe, étiologie, HTA, ALAT, ASAT, plaquettes, créatinémie et Fibroscan).
L'indice C de Harrell du score SMART-CHC dans les 2 cohortes de validation était respectivement de 0,89 et 0,91. L'aire sous les courbes ROC de ce score pour le CHC sur 5 ans était ≥0,89 dans les deux cohortes de validation. Les performances du score SMART-CHC étaient significativement meilleures que les scores de risque de CHC existants, notamment le score aMAP, l'indice de risque de CHC de Toronto, et 7 scores de risque liés à l'hépatite B.
En utilisant les deux seuils de 0,043 et 0,080, l'incidence annuelle du CHC était de 0,09 % à 0,11 % pour le groupe à faible risque et de 2,54 % à 4,64 % pour le groupe à haut risque dans les cohortes de validation.
Les scores prédictifs de CHC à la loupe
Les scores prédictifs, fondés sur l’identification de paramètres simples, évaluent en routine le risque individuel de survenue du CHC. Ils permettent en théorie de limiter le dépistage échographique aux sujets à haut risque.
Actuellement, la plupart des scores de risque de CHC sont spécifiques à l'hépatite B chronique et ne peuvent être utilisés dans d'autres hépatopathies. Les deux scores de risque aMAP et l’indice de risque de CHC de Toronto, formés et testés à l’aide de la régression de Cox traditionnelle, présentent déjà une capacité de discrimination satisfaisante pour classer les patients à faible et fort risque de CHC dans diverses hépatopathies.
Le score SMART CHC, intégrant des variables biologiques facilement accessibles et la rigidité hépatique, démontre une prédiction significativement meilleure sur une durée optimale de 5 ans : moins de patients sont classés dans la zone grise ou risque intermédiaire (7,0 % à 8,1 %) par le score SMART-CHC. La rigidité hépatique est prédictive du développement d’un CHC chez les patients atteints d’hépatite virale chronique et de stéatopathie métabolique ; ce nouveau score est particulièrement applicable à ces mêmes patients à l’inverse de l’étude américaine (El-Serag H et Coll., Gut 2024) de 9 nouveaux biomarqueurs inflammatoires complexes dans les cirrhoses déjà constituées.
Cependant, 3 cohortes de cette étude souffrent d’un manque de données initiales (comme les lipoprotéines, impliqués dans la cancérogénèse hépatique), de patients porteurs d’hépatite auto-immune et d’une maladie héréditaire comme l’hémochromatose. Les données biologiques ne sont également pas actualisées dans le temps.
Sous réserve de mieux cibler certains sous-groupes comme les diabétiques hypertendus très fréquents en Europe, ce score permettrait d’augmenter la faible participation aux programmes de surveillance (20 à 40 %) dans la vie réelle. Les obstacles à une mise en œuvre efficace ont été clairement identifiés : motivation des médecins, anxiété engendrée par des analyses régulières, dont chacune peut révéler un cancer potentiellement mortel et des résultats « faussement positifs » concernant les petits nodules échographiques. Le score SMART-CHC permettrait alors de dépister les patients à haut risque si des études prospectives ultérieures confirment sa fiabilité dans d’autres larges cohortes européennes. Le calculateur du score SMART-CHC est disponible en ligne (https://tcfyip.shinyapps.io/smart_hcc_score) et peut être essentiellement utilisé pour guider le clinicien dans le classement du patient à faible risque.
En conclusion, un nouveau score de risque de CHC basé sur des éléments clinico-biologiques et le Fibroscan peut prédire avec précision le CHC chez les patients atteints de différentes maladies hépatiques chroniques, notamment les hépatites B/C évolutives et la MASH. Le score SMART-CHC pourrait aider les cliniciens à sélectionner les patients à haut risque pour le dépistage échographique du CHC et surtout à rassurer les patients à faible risque, peu compliants à un suivi régulier.
Il doit cependant être affiné pour son utilisation chez les diabétiques hypertendus ainsi que dans d’autres maladies hépatiques plus rares, et surtout validé de manière prospective sur d’autres cohortes européennes indépendantes comportant plus de patients porteurs de MASLD fibrosantes afin de démontrer sa fiabilité pour écarter du dépistage les patients à faible risque de cancérisation de leur hépatopathie avant le stade de cirrhose constituée.