Quand le médecin devient un prestataire comme un autre

Max Paternotte - Directeur Aspera Medical - 02/06/2025

En un peu plus d’un an, nous avons ouvert un centre médical pluridisciplinaire à Bruxelles, Aspera Medical, regroupant plus d’une dizaine de spécialités médicales et paramédicales. Ce temps fut suffisant pour observer une évolution inquiétante : le lien entre patients et soignants se fragilise — parfois même se fracture.

Une relation à bout de souffle

Ce que nous constatons au quotidien :

  • Les patients appellent les médecins par leur prénom dès la première rencontre.
  • Ils arrivent en retard sans prévenir, sans s’excuser.
  • Beaucoup ne savent pas avec qui ils ont rendez-vous.
  • Les “no-show” (rendez-vous non honorés) explosent.

Mais ce n’est pas tout.

De plus en plus de patients réclament des ordonnances le week-end, posent des questions médicales par WhatsApp, demandent le numéro de GSM privé des praticiens.

Certains insistent même pour obtenir des documents médicaux dans l’heure, sans rendez-vous, sans contexte, sans filtre.

À ce rythme, le médecin n’est plus un professionnel de santé. Il devient un prestataire de services “à la demande”. Et bien souvent, gratuit.

Une médecine gratuite… donc méprisée ?

L’une des grandes erreurs de notre système actuel, c’est d’avoir fait croire que la gratuité médicale était synonyme de service permanent.

Mais un acte médical, même remboursé ou BIM, n’est jamais “gratuit” :

Il engage du temps, des responsabilités, des décisions critiques. Il s’inscrit dans un parcours. Il s’appuie sur des années de formation, d’écoute, de suivi.

Ce qui est gratuit est souvent moins respecté. C’est une loi simple, cruelle, et bien connue.

Aujourd’hui, les médecins sont perçus comme disponibles à tout moment, corvéables à merci, et parfois même suspects quand ils rappellent les limites de leur rôle.

Et cette situation ne va pas s’améliorer.

L’explosion du statut BIM : bombe à retardement ?

Fin 2023, plus de 2,66 millions de Belges étaient reconnus comme bénéficiaires de l’intervention majorée (BIM), soit près d’un quart de la population.

Selon les projections du ministre Vandenbroucke, le statut BIM pourrait concerner 3 à 4 millions de personnes d’ici 2025, en raison d’un élargissement des critères d’accès basé sur les revenus nets imposables.

Sur le papier, c’est un progrès social.

Mais dans la réalité du terrain, c’est une dérive non encadrée, qui pèse lourdement sur les soignants.

De plus en plus de patients ont droit à tout, immédiatement, avec peu ou pas de contribution directe. Et dans le même temps, les soignants doivent justifier chaque euro, chaque minute, chaque décision.

Et que dire des abus ?

  • Domiciliations fictives,
  • Déclarations de revenus stratégiquement réduites,
  • Multiplication de patients “invisibles” et injoignables,
  • Demande croissante de prestations gratuites ou non reconnues par l’INAMI…

Les médecins, eux, n’ont pas le droit de “se tromper”.

Mais l’État, lui, organise l’injustice structurelle : une médecine gratuite pour tous, financée par quelques-uns.

Selon les données de l'INAMI, le budget des soins de santé augmente chaque année, mais les dépenses ne sont pas toujours corrélées à l’efficacité ni à la reconnaissance du travail fourni par les professionnels.

Une profession au bord de l’épuisement

Ajoutez à cela :

  • Une charge administrative en constante augmentation,
  • Des règles floues, lourdes et inefficaces,
  • Et un désintérêt total de nos décideurs politiques.

La situation devient intenable.

Les praticiens désertent les cabinets.

Les jeunes fuient la profession.

Les burnouts se multiplient, parfois dès les premières années.

Selon une enquête de Solidaris (2022), près de 60 % des généralistes francophones envisagent d’arrêter ou de réduire leur activité dans les cinq prochaines années.

Et pendant ce temps-là, on continue de répéter que "la santé est un droit", sans jamais se demander ce que devient celui ou celle qui soigne.

Soigner n’est pas servir

Un médecin n’est pas un chatbot.

Une psychologue n’est pas une hotline d’urgence.

Un kiné n’est pas un coach sportif gratuit.

Un centre médical n’est pas un guichet de délivrance automatique de papiers médicaux.

Soigner, c’est comprendre, écouter, accompagner.

C’est aussi poser un cadre, une temporalité, une limite.

Car un bon soin se donne dans un espace de confiance, de respect mutuel et de responsabilité partagée.

Ce que nous défendons

Chez Aspera Medical, nous avons encore foi en la médecine humaine, de proximité, interdisciplinaire, respectueuse.

Mais cette foi a un prix : celui de dire les choses.

➡️ Que les soignants méritent du respect.

➡️ Que les patients doivent être informés de leurs devoirs autant que de leurs droits.

➡️ Et que l’État doit cesser de fragiliser ceux qui, jour après jour, maintiennent debout notre système de santé.

Nous soutenons les initiatives qui redonnent du sens au soin, valorisent l’écoute, l’empathie, le suivi global.

Mais nous appelons aussi à une réforme lucide, concertée, de notre système de santé. Sans hypocrisie, ni slogans faciles.


Nous ne voulons pas pointer du doigt.

Nous voulons remettre la relation soignant-patient au centre.

Et si ce message résonne chez vous — que vous soyez praticien, patient, décideur ou juste citoyen concerné — alors, parlons-en.

Les femmes sont les premières soignantes mais pas les premières soignées
Source: Belga - 27/05/2025